Sokuten Kyoshi ... Suivre le ciel, laisser le soi ...
La question du temps ne nous appartient pas, pas plus que celle de la distance.
Rappelle-toi : "Quand vous avez 100 à parcourir, considérez que 90 est la moitié..."
Françoise Laval, 19/01/2006
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Françoise Laval est décédée dimanche 30 mars 2008, à 5h du matin
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Hommage à Françoise,
Qui ne connaissait Françoise, pour sa façon d’être, sa générosité de cœur, pour son attachement à son île … sa Belle-Ile, Qui ne connaissait Françoise pour la foi, pour son dévouement et son courage, pour l’amour qu’elle donnait …
Je ne sais si ce texte doit être écrit au passé ou au présent ; qui pourrait croire qu’elle n’est plus présente dans notre cœur, dans notre esprit, comme parfois une rencontre peut vous marquer pour la vie entière.
Je ne peux concevoir qu’elle ne soit plus là. Françoise incarnait ce que le Kyudo évoque à travers son caractère et sa noblesse.
Elle avait en elle cette volonté de transmettre ces valeurs suprêmes qui l’animaient et auxquelles elle tenait tant. Elle avait cette détermination et cette foi qui l’aidait à s’en remettre aux choses pour accepter ce qui devait être. A son contact l’écho de la bonté modifiait l’état de notre esprit.
Croire et avoir confiance : elle savait nous l’exprimer à chaque instant. Qui ne peut se sentir ému en repensant à ces deux flèches ultimes qui ont fait vibrer tous nos êtres de leur Tekichu à Tours en ce mois de Janvier neigeux.
Elle avait cet émerveillement, cette spontanéité, ce désir de donner de la « densité au vivant », et cette manière de ressentir la beauté à travers toute chose.
A ses côtés ; on comprenait combien la vie est précieuse, et nos soucis jamais assez grands pour nous empêcher d’avancer : sa compassion suffisait à nous rassurer.
« Creuse ton sillon » me disait-elle, et cela était suffisant pour me rappeler que le chemin n’a pas de fin, qu’il fallait encore et toujours faire de son mieux, s’appliquer à être le plus juste possible et servir plutôt que de penser à soi.
Tenir, tenir, tenir ...
Comme pour démontrer que la vie était à l’image d’un Kai, long et dense, comme une fleur va éclore, comme la flèche va partir dans l’instant ultime, pour que le moment d’après ne soit pas rien, mais plutôt un Tout.
Elle nous quitte ainsi, grande, forte et sereine de la paix d’avoir tout donné.
Elle retrouve Jacques et les siens et j’en suis tellement heureux.
Je souhaite qu’elle continue d’être dans nos cœurs et dans notre pratique de tous les jours.
De ton âme à notre âme … nous t’aimerons toujours.
Loïc KERISIT
Tours, le 31 mars 2008
stage d’initiation à la Falaise verte, août 2004
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Une grande dame vient de nous quitter. Nous n’aurons plus le plaisir, la joie et l’honneur de dialoguer et de pratiquer le Kyudo avec Françoise LAVAL.
Tous ceux qui ont connu Françoise, j’en suis certain, sont tristes à cette nouvelle. Tristes pour eux, mais heureux pour elle car maintenant elle ne souffre plus. Quelques mois après sa découverte du Kyudo, on lui a appris qu’elle était atteinte du mal qui vient de l’emporter. Pendant toutes ces années, elle a été pour nous tous l’image de l’élégance, de la générosité, du courage et de l’amour de notre discipline.
Nous présentons toutes nos plus sincères condoléances à son fils Martin et sa famille. Nous sommes aussi de tout cœur avec le groupe de Kyudo de Tours qu’elle a créé et animé pendant plusieurs années. En 2005, quand elle est allée vivre à Belle-Ile, elle m’a avoué « Si je pensais que ATKT n’était pas prêt à progresser seul j’aurais trouvé les moyens matériels pour rester encore avec le groupe ». Dès son arrivée dans son île, elle a créé un nouveau club. Un grand merci à ceux qui ont soutenu Françoise dans ses derniers moments.
Lors de l’Assemblée Générale de la FFKT de décembre 2007, les Présidents de clubs ou leurs représentants, ont fait circuler un mot de soutien d’une grande chaleur humaine. Laurence et moi sommes ensuite allés à Belle-Île pour la voir et lui remettre ces témoignages. Elle en a été profondément touchée et a mesuré qu’elle n’était pas seule. Je veux oublier Françoise sur son lit de souffrance et ne veux garder d’elle qu’une image.
C’était pendant le stage de Tours en Janvier 2006. Sa maladie et ses anciennes opérations l’handicapaient beaucoup. Malgré tout elle tirait et ses flèches n’atteignaient même pas la cible. Il y eut ensuite une fête où nous lui avons offert de nouvelles flèches. Pour clore le stage, nous lui avons demandé de réaliser un tir. Elle a dit « Je ferai de mon mieux » et elle l’a fait de quelle façon ! Imaginez ce petit bout de femme, seule, devant plus de 100 spectateurs, à 28 mètres d’une cible qui semble si petite, malade, fatiguée et surtout avec ses nouvelles flèches jamais utilisées. Son tir a été une merveille du genre dans la beauté et la réussite car les deux flèches ont transpercé la cible avec une énergie exceptionnelle. Je garde pour toujours son Zanshin et le Tekichu qui résonne dans tout le gymnase. Elle reçut une ovation à la mesure de son tir.
Chère Françoise, un très grand merci car à l’instant de ce tir final, tu nous as enseigné le Kyudo comme personne.
Charles-Louis
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dans le dojo de Belle-Ile, octobre 2007
une des dernières photos de Françoise dans le jardin de Belle-Ile, octobre 2007
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Calligraphie de maître Yoshio KITAJIMA
Calligraphie offerte à F. Laval par Kitajima Sensei
SHIN - Vérité
KO - Lumière
SUGATA - Posture
En 1986, Maître Yoshio KITAJIMA m’a fait remettre par mon Sempaï Bruno GARNERO une calligraphie de sa main, cadeau inestimable qui allait me servir de viatique pour le reste de mon existence.
J’avais rencontré Maître KITAJIMA, élève et successeur de Maître ANZAWA, venu en Europe à l’invitation de Christian MAGNIER Sensei sur la tombe d’Eugen HERRIGEL, au groupe de Bruno GARNERO à Cherbourg.
Du premier tir de Maître KITAJIMA, la débutante que j’étais ne vit que l’immense puissance de cette magnifique montagne formée par l’Ashibumi. Enracinement maximum, centre du mouvement ultérieur, vraie source de ce splendide épanouissement qu’est l’ouverture de l’arc. Dans la dédicace et les délicats iris d’eau qui en formaient la base, je vis aussi toute la poésie du calligraphe.
SHIN – VERITE
J‘ai mis des années à percevoir qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un conseil moral, réprouvant le mensonge ou l’exagération.
C’est l’Impact de la flèche qui nous indique le respect de la Vérité du tir, ou s’il y a eu l’irruption subite d’une pensée venant en ternir la pureté. Pureté du tir, pureté du son qui comble alors l’oreille et libère toute la puissance de la flèche.
Qu’il est difficile de vider son esprit pour atteindre cet état de dépouillement que l’on appelle « mushin ». Notre petit ego, aux aguets derrière la porte, se rue sur le moindre interstice pour s’y faufiler…
On sent vite que le seul secours possible est alors le souffle, objet d’une « attention » méthodique dont la régularité rythme et pacifie le geste.
KO – LUMIERE
Le professeur de calligraphie à qui j’ai montré l’œuvre de Maître KITAJIMA a marqué un temps d’arrêt, tant cette magnifique discipline peut accepter d’interprétations différentes. Puis elle a opté pour KO – LUMIERE.
Ravissement des peintres venus à la suite de Monet admirer la subtilité de celles de mon île. Sa beauté nous laisse parfois en suspens.
Lumière de l’âme qui transparaît dans un beau regard ou dans un visage d’enfant éclairé d’un sourire. Clarté de la pensée, de l’expression.
Ce qui relie ces notions et nous ramène à la Vérité, c’est la Pureté, leur dénominateur commun. L’absence de parasite, le dénuement, le vrai dépouillement.
Obligation de se tourner vers l’intérieur quand, l’âge venant, la vision nous fait défaut et ne nous est plus que chichement dispensée. Le souvenir, pourtant, restitue le passé dans tout son éclat. Mais que n’avons-nous chanté de Joie tous les matins, en ouvrant les yeux sur la beauté du monde ?
SUGATA – POSTURE
La Posture est l’armature de la Beauté.
On comprend alors la nécessité d’un incessant travail de perfectionnement du Taïhaï, sous peine de voir une colonne dorsale prompte à s’effondrer, une musculature à se relâcher, des orteils à crier grâce.
Ne pas s’y efforcer de tout son possible serait faire insulte au tir et à l’arc magnifique qui en est le vecteur. Arc fabriqué avec tant de respect par un maître Facteur d’arc revêtu de son hakama, purifié par le recueillement.
Comment ne pas voir que la correction de sa propre tenue en est le corrélat obligatoire, et pas une question d’esthétique ?
Tout cela nous conduit à la notion de transmission et d’enseignement. Enseigner le kyudo, ce n’est pas seulement partager un savoir technique.
Chacun arrive au kyudo avec le corps qu’il a, à tel ou tel âge, plus ou moins blessé et souvent bien peu approprié à cette discipline. Enseigner le kyudo, c’est l’ INCARNER, c’est « être » en plénitude avec l’arc, la flèche et la cible.
Pour enseigner, un seul secret : servir, servir, servir, sans se décourager des échecs. Ouvrir son cœur à la difficulté de l’autre, juste reflet de nos propres tâtonnements, sans aucun jugement de valeur.
Qui d’entre nous, ayant travaillé avec un Maître japonais, n’a pas été frappé par cette extraordinaire qualité de communication et d’attention, qui nous pousse à nous dépasser ? Qui ne connaît alors la gratitude qui nous envahit de l’honneur d’un tel partage ?
L’élève que nous conduisons petit à petit devant la cible en lui faisant affronter sa peur nous donnera la meilleure mesure de notre indispensable humilité. Il nous tend le miroir de notre propre chemin.
Il sera alors transmis de cœur à cœur le plus précieux, le plus profond d’une personne à une autre. Chacun y découvrira sa Joie.
Keroyan, 11 mars 2008
Dojo de Kyudo à Belle-Ile, AKBI
Françoise LAVAL, 5è dan
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Et la flèche traverse la cible…
La première fois que j’ai rencontré Françoise, c’était il y a une quinzaine d’années, lors d’un stage au dojo de Lyon. Elle était là si présente dans sa discrétion et sa distinction, que sans avoir été présenté, j’ai tout de suite senti quelque chose de fort chez ce petit bout de femme, cheveux poivre et sel coiffes courts, kimono impeccable, droite comme un i et affable telle qu’elle fut toujours.
Ce qui la caractérise pour moi c’est bien ça. Elle était « présente », sans rien faire, sans rien dire on sentait affleurer la personnalité pour ne pas dire l’âme.
Discrète, mais pas muette loin s’en faut, les mots, les tournures de phrases, les qualificatifs élaborés, les métaphores étaient aux services de Françoise, dans ses écrits comme dans ses conversations, cela coulait avec élégance et ressemblait à des jardins à la française . Et si d’aventure un gros mot lui échappait il prenait tout de suite des allures de maxime, ou de proverbe.
Je crois qu’elle était dans sa vie comme dans sa pratique : déterminée et humble, toujours à l’écoute d’une possible correction, mais avec le recul je réalise qu’elle était notre sensei à tous… Sa lutte permanente contre la maladie, son courage de faire face, sa souffrance et sa dignité ont ouvert, par son exemple, la voix royale de ce que nous cherchons tous, ce quelque chose qui vous révèle à vous-même.
Un dicton dit : « Le kyudo c’est la vie ». Aujourd’hui qu’elle est partie à l’aube de la naissance de mon fils, je prends conscience qu’effectivement le kyudo c’est la vie, Hanaré c’est la naissance, le vol de la flèche c’est notre vie et la cible l’aboutissement, l’impact, le résultat de notre passage. Une flèche vient d’être tirée droite et véloce, une autre a traversé sa cible chargée de toute l’énergie de son vol et de la direction qu’elle nous indique.
« Et ainsi apparaît le corps d’or pur, étincelant de blancheur… »
Nous traverserons nous aussi un jour notre cible, j’espère le faire avec le même tékichu que Françoise.
Je garde précieusement avec moi son souvenir, comme tous ceux qui ont partagé son amitié
Qu’elle repose en paix sur cette Isle dont le nom lui va si bien !
Frédéric Michel
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Articles parus sur le site de la FFKT
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